La plus désirable des fleurs

En apparence, la fille parfaite. Belle, sympathique, charismatique et attentionnée, il ne semble pas exister chez elle un simple défaut. Peu importe qui se trouve face à elle, il est difficile, voir presque impossible, de rester indifférent à Désirée – ce qui est d’autant plus accentué par son pouvoir – et elle n’est pas du genre à chercher l’indifférence. Peu importe qui se trouve devant elle, elle abordera la personne avec le même respect, la même éloquence, la même gentillesse. Elle ne juge pas, n’assume pas, elle se contente d’accepter les autres, dans leur intégralité. Elle se contente d’aimer, sans conditions, sans apparats.

L’amour, oui, voilà bien ce qui représente le plus Désirée. L’amour dans ses formes les plus variées. L’admiration que l’on porte à quelqu’un d’incroyablement talentueux. Le respect que l’on accorde à ses aînés et ses mentors. L’amitié qui nous lie à ceux qui sont similaires, mais aussi différents de nous. L’amour, intime et chaleureux, qui nous fait nous unir à quelqu’un. La passion de l’union des corps et des esprits. Oui, l’amour. Elle n’est qu’amour, ne demande qu’amour, n’offre qu’amour. Elle vit selon ses désirs, selon ses envies, et invite les autres à faire de même, et à l’intersection de ces désirs se forment les relation qu’elle entretient.

Et pourtant, cet amour, aussi beau et universel qu’il soit, est la preuve de ce qui ne va pas chez Désirée. L’amour est une évidence. Aimer les autres et être aimer. Il s’agit de la base de ses relations avec tout le monde. Mais cet amour est gratuit. Facile. Il est évident pour Désirée d’aimer tout le monde, tout comme il est facile de l’aimer. Il n’y a, pour tout dire, rien à faire pour obtenir cet amour. Rien ne vient le renforcer, rien ne vient le défier, rien ne vient, en réalité, le créer. Car tel est son pouvoir : les relations sont faciles, séparées entre une grande majorité qui l’aiment, et une petite minorité qui la détestent. Elle n’a rien à faire pour gagner l’amour des gens, il va de soi. L’effort nécessaire à l’établissement d’une relation ne fait aucun sens à ses yeux. Et par conséquent, la réelle force d’une relation, d’un lien qui unit deux individus, lui est inaccessibles.

Ainsi, peu importe à quel point elle aime les autres, peu importe à quel point ils peuvent l’aimer, elle ne peut les comprendre. Elle ne peut comprendre le désir de posséder quelqu’un pour soi-même. Elle ne peut comprendre l’attachement qu’on éprouve envers d’autres. Malgré la variété des individus qu’elle côtoie, malgré le fait qu’elle sache que chaque personne est unique et respecte cette individualité, son amour est tellement universel, que tout le monde devient interchangeable. Elle ne peut créer d’attachement, car elle ignore la peur de perdre. Elle ne vit que pour l’amour, faisant fi des conventions sociales qui l’accompagnent. Si elle connait le principe de fidélité, elle ne le comprend pas. Comment réserver son amour à une seule personne peut-il être préférable ?

Ainsi, il lui est aussi incapable de comprendre pourquoi certains ne l’aiment pas. Elle ne peut comprendre l’arrogance qu’ils lui trouvent, l’hypocrisie qu’ils lui prêtent, ou encore la volatilité qu’ils lui reprochent. Si quelqu’un ne l’aime pas, cela veut simplement dire qu’il n’y avait pas d’espoir dans cette relation. Elle la rangera de côté, et continuera sa vie. Elle ne fera pas d’efforts pour changer les choses, pour restaurer l’opinion que les autres ont d’elles.

Parce qu’en fin de compte, elle ne peut comprendre les autres, et les autres ne peuvent la comprendre.

« Répand l’amour et la bonté autour de toi ». Voilà l’étendue de mes souvenirs avant que je n’arrive ici. Des mots prononcés par ma mère, dont je n’arrive plus à me souvenir le visage, simplement une silhouette. Mais ne pas me souvenir n’est pas important. Car je sais à quel point elle m’a aimé, et que si je ne l’ai jamais revu, notre séparation s’est faite pour mon bien. Je le ressens au plus profond de moi, l’amour qu’elle avait pour sa fille, cette amour qu’elle m’a transmis, et anime chaque fibre de mon corps.

Visiblement, alors que j’avais cinq ans, je suis tombé extrêmement malade. J’ai été sauvé par cette académie, Arcanum Locus. Je ne pouvais vraiment comprendre ce qui se passait, et je me souviens que j’étais terrifiée. Bien sûr, je n’étais qu’une enfant à l’époque, alors être soudainement séparée de mes parents, pour m’expliquer je possédais un don quelconque me semblait inimaginable. Il m’a très clairement fallu du temps pour m’habituer à cette situation, mais lentement, le « talent » dont il parlait commença à apparaître réel. Je n’étais pas très douée à l’époque pour exprimait ce que je ressentais, pourtant, j’avais la sensation que les enfants qui m’entouraient pouvaient instantanément comprendre la bonté que j’avais à leur égard. Rapidement, je me suis fait de nombreux amis, j’étais aimée des professeurs. La peur d’être seule commença alors lentement à disparaître, au profit d’une sensation de bien-être. Ce don que j’avais, c’était comme pouvoir transmettre aux autres l’amour que je portais en moi.

J’étais émerveillée. Je voulais être amie avec toujours plus de gens, j’adorais les voir sourire, les rendre heureux, et être heureuse en retour. Je rêvais de pouvoir propager cette sensation au monde entier, ou en tout cas à tous les autres enfants. Alors j’ai commencé, très jeune, à travailler dur pour améliorer mon talent. Si j’avais de bonnes notes, je n’étais pas l’élève la plus studieuse, donc l’effort fut au début très difficile pour moi. Heureusement, mes amis et mes professeurs m’encourageaient tous, et ça me donna la force de continuer. Je n’aurais probablement pas réussi à continuer si ce n’étais pas grâce à eux.

Les années et les classes se sont succédé. Avec le temps, j’avais réussi à surmonter ma timidité naturelle. J’allais vers les autres, et eux en retour venaient vers moi. C’était magique. Mais c’est aussi à ce moment là que j’ai commencé à rencontrer l’inverse de l’amour : la haine. Je ne sais pas pourquoi, mais de plus en plus de gens se mirent à me détester. A rejeter mes avances. A vouloir volontairement me blesser, me faire du mal. Je ne comprenais pas. Je ne pouvais pas comprendre. Je n’avais jamais connu que l’amour, la générosité, alors la haine, la colère, me semblaient tellement étranges, tellement différents, tellement hideux. J’étais de nouveau terrifiée. Qu’avais-je fait pour mériter cela ? Avais-je été offensante, les avais-je blessés d’une quelconque façon ? Etais-je en réalité quelqu’un de mauvais, incapable de s’en rendre compte ?

Rien de tout cela. Il me fallut du temps pour comprendre. Encore une fois, les personnes qui m’entouraient furent essentielles. Ils me confortèrent. M’expliquèrent que je n’avais rien fait de mal. Me rendirent l’amour que ceux qui me haïssaient m’avait dénié. Non, il me fallait simplement apprendre que tout le monde ne pouvait accepter mon amour. Certaines personnes y étaient fermées. Certaines personnes ne possédaient en eux que haine, ne disposaient que d’un cœur noir et vil. Je n’y pouvais rien. J’ai pris conscience que dans ce monde, le Mal existait. Je pouvais m’en attrister, mais je n’avais d’autre choix que de l’accepter. Pour autant, cela ne m’empêcherait pas de continuer à avancer.

Bien sûr, avec les années, j’ai perdu de vu de nombreuses personnes, et j’en ai trouvé de nouvelles. Mais les adieux n’étaient jamais tristes pour moi. Je laissais à mes amis l’amour que je leur avais confié, pour qu’ils le portent avec eux dans leur avenir. Un jour, certaines de mes amies se sont disputées pour savoir qui était ma meilleure amie. Je ne comprenais pas pourquoi elles se disputaient. Si l’une d’elle était ma meilleure amie, cela ne voulait pas dire que je l’aimais plus, mais que j’aimais les autres moins. Alors je leur ai dit qu’elles étaient toutes mes meilleures amies. Certaines ne le comprirent pas. Certaines en furent remplie de bonheur. Je ne pouvais pas comprendre pourquoi. Encore une fois, je ne pouvais que l’accepter, et aller de l’avant.

La puberté et le passage par l’adolescence fut une période particulière. Mes relations se transformèrent. Soudainement, la façon dont me voyait certain de mes amis changeaient de la façon dont me voyait les autres. Et moi-même, les sentiments que j’arborais envers une partie d’entre eux changèrent. Généralement, on considère que les sentiments deviennent plus forts, mais je les trouvais simplement différents. Je me retrouvais à fixer longuement leurs corps, et je pouvais sentir le mien se réchauffait alors que ce qui ressemblait à des pulsions électriques me parcouraient. J’ai découvert alors ce qu’était le désir, le besoin charnel, l’envie d’unir son corps à quelqu’un d’autre, comme un symbole physique de l’amour que je portais à cette personne. Etant donnée que je voulais en savoir plus, j’ai demandé à une de mes amies, qui semblait s’y connaître dans le sujet, de m’en parler. Elle m’expliqua ce qu’était le sexe – bien que j’aie toujours préféré parler de faire l’amour – et à quel point il était important que je choisisse bien à qui je devrais « donner » ma virginité. Cela devait être quelqu’un d’attentionné, et que j’aimais de tout mon cœur. Elle a énormément rougi quand je lui ai dit que c’était ce qu’elle était à mes yeux, et que cela ne me dérangerait pas de lui donner. Maintenant, je me rends compte que ce que nous avions fait ce soir là ne pouvait vraiment être qualifié de sexe, mais plus d’une découverte du corps de l’autre.

J’étais curieuse, je voulais plus approfondir ce sentiment. Je voulais essayer avec d’autres personnes, je voulais voir quelle réaction faisait chacun d’entre eux. Je voulais les rendre heureux, me sentir encore plus proche d’eux. A l’époque, je pense que j’étais dans une réelle période d’euphorie. Presque plus rien ne comptait à mes yeux, si ce n’était explorer cette nouvelle façon d’aimer, tellement nouvelle, tellement exceptionnelle. Garçon et filles, à deux ou plus, partout, tout le temps. Heureusement, j’ai appris à aborder cela avec un peu plus de recul et de maîtrise. Car il semblerait qu’il s’agissait là d’une forme d’amour sur laquelle reposait de nombreux tabous. Déjà, il est apparemment normal, ou plus commun, pour une fille d’aimer les garçons, bien que l’Académie supportait toutes formes de relations. Ensuite, il s’agissait de quelque chose de privé, à ne pas mélanger avec sa vie publique. Et surtout, certains de mes partenaires n’appréciaient pas le fait que je faisais l’amour avec d’autres personnes. L’amour, je l’appris, était sensé être exclusif. Je devais trouver un ou une petite amie, et ne pratiquer qu’avec cette personne. Je ne comprenais pas. Je ne comprends toujours pas. Je n’ai jamais eu une personne que j’aimais plus que les autres. Je ne voulais pas blesser ceux que j’aimais, alors j’ai essayé de m’y conformer, mais je ne sais pas si c’est réellement fait pour moi. Depuis, j’ai eu de nombreuses histoires, mais jamais aucune d’elle ne dura bien longtemps. Mais généralement, nous nous quittions en bon termes.
J’ai fini par quitter le Lycée, et j’ai commencé des études en art, plus particulièrement dans le domaine de la musique. J’avais toujours été fasciné par comment des sons pouvaient retranscrire des émotions. Je voulais exprimer ce que je ressentais à travers la musique, rendre des gens heureux. L’instrument importait peu, bien que j’aie surtout une affinité pour le violon et le piano. Malheureusement, bien que je sois loin d’être en échec, mes professeurs ont toujours déploré mon manque de flexibilité. J’ai énormément de mal à jouer les morceaux tristes, mais je donne aux morceaux heureux et aux musiques romantique une aura incroyable. Cela ne me dérange pas, je ne comprends pas pourquoi je devrais transmettre aux gens des émotions comme la tristesse quand je pourrais les rendre heureux.

A côté, ma vie sociale a continué à se développer. Je sors beaucoup, je rencontre toutes sortes de gens. Je n’ai toujours pas de relations stables, mais je ne trouve pas cela triste ou regrettable. L’amour que je transmets ne disparaîtra jamais, même si je les perds de vue, et ceux que j’ai aimés resteront toujours en moi, alors que j’avance vers demain.